Artwork – « Mezzanine » de Massive Attack
2019 n’est pas une année anodine pour le groupe Massive Attack puisque celui-ci tourne actuellement pour fêter les 21 ans de son album culte « Mezzanine ». C’est d’ailleurs lors de leur passage à Bruxelles en début d’année que j’ai eu l’occasion de me replonger dans cet album et surtout son célèbre artwork, puisque peu d’articles semblent réellement aborder la conception de cette mythique pochette.
Le point de départ rédactionnel de cet article était lié à l’expo que Robert Del Naja, leader de Massive Attack, (Banksy présumé de son état), déclarait sur la pochette de « Mezzanine ».
« Cette pochette est constituée d’un ensemble d’images et créée par Nick Knight – La première fois que je bossais avec Nick et Tom Hingston. Il y avait un sacré bond en avant en regard de l’approche copier/coller do it yourself des précédents albums avec une production bien plus poussée. À l’époque, j’étais obsédé par les araignées et les motifs sur leur dos. Ce qui a mené à l’image du scarabée. Dans le bouquin (« 3D and the Art of Massive Attack »), j’ai inclus une photo des insectes originaux que Nick avait photographiés pour le Musée d’Histoire Naturelle et qui ont servi à la composition finale. »
Vous aurez donc compris que la pochette était un travail collaboratif et si les noms de Nick Knight et Tom Hingston ne vous disent rien, vous avez déjà vu leurs travaux, le premier ayant œuvré en tant que photographe de mode mais aussi réalisateur de clips pour Björk, Lady Gaga ou encore Kanye West quand le second s’est illustré avec U2, Nick Cave, les Rolling Stones ou encore David Bowie ! Excusez du peu.
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Tom Hingston : Je crois que c’était un an avant la sortie de « Mezzanine », soit 1997. Robert avait travaillé avec un gros studio de design graphique et il y avait une volonté de sa part à explorer autre chose que cette simple relation, quelque chose qui soit plus de l’ordre du collaboratif.
Étant donné ton passif artistique en graffiti Robert, il n’était pas question d’externaliser la création des artworks du groupe – est-ce que travailler avec Tom fut facile ?
Robert del Naja : Oui mais c’est très différent d’avoir plein de concepts, d’idées, de dessins et de savoir les concrétiser, d’aller au-delà et de les transformer en quelque chose qui ait un format que tu peux imprimer. J’ai toujours utilisé des symboles dans ma peinture et quand on a travaillé très tôt avec Judy Blame et Michael Nash, on a beaucoup parlé de symbolisme, c’est ainsi que l’on a terminé avec la flamme et ces symboles industriels que l’on a associés très tôt au groupe. C’est ainsi qu’on en est venus à parler de la manière dont on amène un concept, ayant une super forme finale sur carton, à quelque chose que l’on peut ensuite tenir dans sa main.
Vous avez donc travaillé une année sur la couverture à échanger vos idées ?
RDN : Oui et une grosse part de ce process était tout autant axé sur les matériaux que cela pouvait l’être sur l’iconographie ou les sources mêmes. Nous avons passé pas mal de temps à étudier de nombreux matériaux, processus d’impressions et ce qui allait avec, et qui pourrait souvent définir une part de l’artwork lui-même. Plutôt que de travailler une œuvre d’art et seulement réfléchir à comment imprimer ça ? C’était plutôt l’inverse ici…
Combien de versions avez-vous travaillées avant d’arriver à cette pochette si reconnaissable désormais ?
TH : La manière dont cela a évolué est intéressante. La première fois que nous en avons discuté, il y avait tout un amas de références que Robert avait compilé, des images en très gros plan de peaux d’araignées et d’insectes et il y avait ces images du tests de Rorschach avec lesquelles il avait pas mal jouées aussi. C’était vraiment notre point de départ. Et voir tout cela a été l’étincelle qui nous a menés à Nick (Knight) puisqu’il y avait de nombreux parallèles avec le sujet et en regard de ses propres travaux.
Nick avait réalisé toute une série d’images avec Simon Foxton où ils avaient truqué des scènes de lutte. Elles étaient très cinétiques avec du verre brisé et des explosions de peinture, combinés à d’autres éléments très figuratifs. Cela nous a pas mal ouverts les yeux sur les possibilités de création en collage, ou photomontage ayant une bien plus forte valeur de production.
RDN : Oui, c’est plutôt drôle car notre musique est souvent décrite comme un collage. Et c’est un processus de collage. Rien n’est écrit de façon conventionnelle. C’est souvent une confrontation d’idées. Et j’ai toujours évolué avec ce processus de collage dès mes premiers travaux graphiques […] Mais quand Tom a commencé à travailler avec Nick, c’était presque un collage plus profond, il y avait du photomontage, des logiciels comme Paint Box et des programmes que je n’avais jamais vus avant, et des effets spéciaux que vous voyiez alors uniquement dans les films, afin de fusionner, couper tous ces éléments, construire toutes ces choses qui s’assembleraient dans un espace 3D. D’une certaine manière, le processus n’était pas si différent des premières techniques utilisées en collage mais les techniques, les machines et les possibilités derrière étaient telles que l’on pouvait aller toujours plus loin.
Nick prenait tout un tas d’éléments très différents mais arrivait à quelque chose de très symbolique. Vous pouviez alors reculer et déceler une forme sculpturale et qui attirait vraiment, émanant d’un travail qui faisait un usage très direct de la symbolique industrielle entre autres choses. […] Peut-être que c’est un besoin inné de vouloir tout simplifier, de détruire tous ces éléments pour revenir à une forme unique parce que le décrire d’une autre manière semblerait trop long et compliqué.
C’était un exercice de création de marque, même si cela a évolué à travers le temps ?
RDN : […] Je crois que j’étais très intéressé à l’époque par l’idée de créer un symbole anti-marque. Et la promo, le marketing de Massive Attack, jusqu’à « Heligoland » a toujours tourné autour de ça, créer un symbole qui, en temps normal, serait considéré comme une identité de marque mais plutôt l’inverse. « Mezzanine » est sorti à une époque la question de l’identité de la marque, les logos étaient remis en question (comme la campagne « No Logo » de Naomi Klein).
TH : Clairement ! Et je crois qu’à la sortie de l’album, nous arrivions à la fin de l’ère Brit pop […] C’était un paysage très coloré, Spice Girls, boys bands et le reste… C’était quelque chose dont nous étions très conscients et nous voulions créé l’exact opposé de cela. Toute la campagne se devait donc d’être monochrome, métallique, noire et blanche puisque cela tranchait clairement avec ce qui se faisait à l’époque.
RDN : Nous avons créé notre propre police de caractères. C’était un moment de chrysalide où nous essayions alors d’émerger en une forme différente. En termes d’identité de marque, nous avions survécu à tout ce truc des 90’s où nous étions ces tout nouveaux mecs cools qui intégraient ce mouvement appelé Trip hop et qui était un petit satellite venant s’agréger à tout cette vague de la Brit pop. Alors qu’aucun de nous ne le ressentait comme ça. Nous voulions juste établir fermement notre propre identité et je pense que « Mezzanine » a été cette opportunité.
À noter que Robert Del Naja n’a pas qu’un passé d’artiste graffiti, si vous ne le saviez pas, il continue de peindre (Banksy, is it you ?) et il serait intéressant que je me penche à l’occasion sur ses travaux dont certains ont servi d’illustration au très bon album d’UNKLE, « War Stories ».