Artwork – « What Went Down » des Foals

J’avoue que j’attendais pas mal ce nouvel album des Foals et s’il n’atteint pas des sommets absolus, il n’en reste pas moins un très bon album. J’ai pu aussi remarquer le goût du groupe sur l’altération du médium, qu’il s’agisse de glitches ou d’accidents liquides sur leurs récents visuels. Cette pochette très mystérieuse méritait donc que je m’y attarde.

Premier point, citons le photographe, un japonais né en 1983 à Saitama au nord de Tokyo répondant au nom de Daisuke Yokota. Un artiste ayant remporté de nombreux prix et reconnu pour « son approche méticuleuse de l’expérimentation graphique, combinée parfois à des performances viscérales et sa volonté de tester continuellement les limites de la photographie. »

Foals-What_Went_Down

Il faut dire que Yokota passe du numérique à l’argentique pour expérimenter au maximum, ainsi sur l’un de ses séries « Backyard » de 2011, il explique son process (que l’on pourra déceler sur la photo de « What Went Down ») sur le site AmericanPhoto :

Dans un premier temps, j’ai utilisé un appareil photo numérique puis imprimé l’image. Je l’ai ensuite photographiée avec un appareil photo moyen format, en utilisant un film couleur, même si l’image est plus tard en noir en blanc. Je la développe ensuite à la maison, de manière à ce que des imperfections et du grain y apparaissent — je m’arrange pour que l’eau soit très chaude (90°) ou je n’agite pas le film dans le bain chimique. Mais même avant ça, je laisse un peu de lumière frapper la pellicule; je développe mes pellicules dans ma salle de bain, ce n’est donc pas vraiment une chambre noire, ce qui aide, mais je peux tenir aussi un briquet sous le film ou tout autre élément qui traine. J’expérimente toujours  — le but est de ne jamais faire la même chose deux fois. Ainsi, je réalise de plus en plus de variations de l’image finale, Je re-photographie l’image à peu près 10 fois.

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daisuke_yokota_portrait

Source photo : http://blog.streetographer.com/post/86596785658/daisuke-yokota

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Ce qui est intéressant est que l’artiste a été bercé par la culture pop des années 90 et il cite ainsi des artistes comme David Lynch ou encore le génial Aphex Twin, artiste électro démultipliant ses personnalités dans des vidéos qui auront marqué bon nombre de gamins ayant eu MTV ou tout simplement enregistré les clips diffusés par M6 la nuit. Twin serait même une influence très importante du photographe :

Il y a deux raisons à cela. Aphex Twin a de nombreux pseudonymes, son travail est moins de connaitre son vrai nom, comme une sorte de symbole, que d’en savoir sur les chansons elles-mêmes. Il y a cette impression que l’on ne peut pas vraiment le voir et cette confusion me semble très intéressante. Ensuite, pour parler de sa musique même, il y a beaucoup d’expérimentation à base de décalage, d’écho, de réverbération, qui influe la manière dont on perçoit le temps. Bien sûr, il n’y pas cette notion de temps en photo mais j’ai réfléchi à la manière d’appliquer ces effets ou filtres en photo. J’ai véritablement été influencé par l’idée d’ambiance.

Quand on l’interroge un peu plus sur cette notion de temporalité et la difficulté de la représenter en photo :

J’ai bien conscience que la photographie ne fonctionne pas de la même manière que les films ou la musique mais je me posais la question de savoir s’il n’était pas possible de créer des photos qui emportent avec elles une notion de temps. Quand vous allez vous coucher, vous vous remémorez les événements du jour, n’est-ce pas ? Vous allez revoir certaines images mais de façon très distante de ce qui s’est vraiment passé, elles vont être brumeuses. Vous essayez de vous remémorer quelque chose, et la photo peut aussi servir à se remémorer des éléments d’une certaine manière. Naturellement, mes photographies fonctionnent effectivement comme une sorte d’enregistrement, mais il n’y a aucun accord entre le photographe et mon propre souvenir des événements. L’impression est complètement différente. Je pense qu’utiliser ces effets de décalage, réverb’, écho, (en termes photos de développement « incorrect » du film et ainsi de suite) pourrait bien être une manière d’altérer la notion de temps de manière visuelle.

Pour en revenir à sa contribution sur cet album, Yannis Philippakis, leader du groupe a récemment expliqué comment il avait choisi l’artwork :

J’ai eu quelques soucis avec cet artwork, dans le sens où pour « Holy Fire », j’avais trouvé l’image pendant que nous étions en train d’écrire, mais très tôt dans le process et tout le temps que nous enregistrions « Holy Fire », j’avais le sentiment que cette image englobait l’album et alors que nous écrivions encore, je pense qu’inconsciemment cela a défini une sorte de palette de couleurs au disque. Mais sur cet album, ça ne s’est pas produit, je n’ai rien trouvé. Je pense que le matériau et la variété de cet album signifiaient qu’il était difficile de trouver une seule image pour résumer tout cela, donc j’étais quelque peu perdu. Puis je suis tombé sur ce photographe Daisuke Yokota, qui a pris cette photo. J’ai acheté cette impression de lui quand j’étais en voyage quelque part et je l’ai juste adorée. Et finalement, nous avons senti que c’était assez emblématique et impactant, et c’était la meilleure image pour cet album.

Et si on a presque l’impression d’une simple coïncidence, je suis tombé sur un très bon article du site Neoprisme faisant une très bonne analyse de l’imagerie du groupe, je ne vais pas copier/coller leurs propos mais je reprends un point presque essentiel, la récurrence visuelle de l’élément liquide et la manière dont les corps s’extirpent des flots, une « évidence » justement soulignée si on met côte-à-côte les pochettes de « Total Live Forever », « Holy Fire » et le dernier « What Went Down ».

 

Une analyse d’autant plus pertinente quand on voit la récurrence de l’eau dans les clips du groupe, à commencer par le single visible en tête de cet article ou encore les dernières lyric videos publiées de « Knife In The Ocean » ou encore « Night Swimmers » (et ses glitches vidéo, encore plus proche de l’imagerie de Yokota et notamment sa série « Nocturnes », à savoir des gens nus se baladant de nuit, éclairés par une simple lampe au halo très concentré).

Concernant le clip éponyme de « What Went Down », Yannis explique la genèse d’un clip qui semble presque s’appuyer sur une imagerie inconsciente avec l’omniprésence de la mer, peu étonnant pour quelqu’un venant de l’île grecque Karpathos (quittée dès ses 5 ans néanmoins). Il revient sur le concept et son implication tout en éludant l’élément liquide :

J’ai un peu contribué. Nous avons tendance à être assez investis concernant les artworks et les visuels. De façon basique, le réalisateur Niall, qui est un super mec, a adoré la chanson et nous avons simplement bu quelques verres et discuté du fait de que cette chanson exprimait une notion de course ou de chasse. Il y a ce prédateur, une énergie sauvage et lui disait « et pourquoi pas une attaque de chien ? » Et nous avons donc discuté de cette approche, tentant de respecter la chanson par la vidéo, et il a exprimé des choses qui sont aussi inhérentes à la musique actuelle ou dans les paroles avec la menace et le danger, comme la chanson est une chanson violente la vidéo est violente.

Photo-Foals_2015

Le mystère de la mer reste, à priori, entier mais force est de constater que Yannis semble avoir du mal à résister au chant des sirènes. En tout cas, voilà un élément qu’il sera intéressant de suivre sur les prochaines pochettes d’album du groupe.